Vivre en pleine conscience
Par : Christophe André
“Avec la pleine conscience la vie devient plus vaste”
Propos recueillis par: Fabrice Tellier
Pour le psychiatre Christophe André, la pleine conscience est une clé du bien-être et du bonheur. Méditant enthousiaste, il nous introduit, en trois étapes, à cette technique qui a changé sa vie et peut changer la nôtre.
La vogue de la méditation traverse l’Occident. En une décennie, des millions d’entre nous ont été tentés par cette méthode de recentrage et de pacification venue d’Extrême-Orient. Certains en ont fait un exercice quotidien et souvent cela a changé leur vie. Aujourd’hui, la chose est devenue presque banale, mais reste intrigante : comment un geste aussi simple – arrêter un instant sa course et prendre conscience de ce qui se passe en soi et hors de soi – peut-il suffire à booster notre bien-être, voire à nous ouvrir au bonheur ? Pour éclairer cette énigme, nous avons interrogé le Dr Christophe André, l’un de ceux qui ont introduit en France la « pleine conscience » de Jon Kabat-Zinn, version laïque d’une approche religieuse : la méditation bouddhiste. Que reste-t-il de la forme de départ, sophistiquée et vieille de plusieurs millénaires, dans l’application moderne dont parlent les magazines ? Christophe André est bien placé pour nous en parler :
« Au départ, la méditation de pleine conscience est une méthode bouddhiste. Il est amusant de constater que l’Orient se met à l’écoute de ceux qui, aujourd’hui, l’enseignent chez nous. L’idée de base est de poser son attention sur tout ce qui compose l’expérience de l’instant présent : notre corps, notre souffle, les sensations de notre peau, les sons alentour, nos émotions, nos pensées… Il s’agit d’avoir conscience de tout cela, mais sans s’accrocher à rien, de garder une attention éveillée et fluide, mais sans intention ni recherche de résultat immédiat. On ne cherche pas à se détendre ni à se relaxer. Il faut juste essayer de se mettre à l’écoute de tout, le plus amplement possible. Pour les bouddhistes, cet exercice constitue une porte d’entrée vers l’exploration des espaces infinis de la conscience universelle. D’ailleurs, j’ai des amis prêtres qui l’utilisent pour calmer les esprits agités de leurs paroissiens avant la messe…
Mais il y a une trentaine d’années, un homme génial, le biologiste américain Jon Kabat-Zinn, a eu l’intuition que cette technique religieuse pourrait devenir un puissant outil d’équilibrage, de santé et de bien-être. Pour cela, il s’est dit qu’il fallait laïciser et simplifier cette démarche, c’est-à-dire :
1) l’extraire de son contexte bouddhiste, de ses croyances et de ses rituels ;
2) en tirer une méthode facile à apprendre, à transmettre et à évaluer scientifiquement. Il songeait en effet à l’utiliser en médecine, mais savait qu’elle ne passerait jamais le portail des hôpitaux et des universités sans une étude de validation rigoureuse. C’est ainsi qu’il a inventé la méthode appelée Mindfulness ou “pleine conscience” (le nom exact est Mindfulness-Based Stress Reduction ou MBSR, “Réduction du stress par la pleine conscience”). Pour les bouddhistes, cette pratique n’était qu’un préambule. Pour Jon Kabat-Zinn, elle était assez puissante pour devenir une fin en soi.
Et ça a marché. On compte aujourd’hui des dizaines d’études scientifiques sur l’utilisation thérapeutique de la pleine conscience, toutes positives. La plus célèbre a été publiée dans la très sévère revue “Archives of General Psychiatry”, généralement fermée aux psychothérapies qu’elle juge trop “floues”. Elle a été menée par un élève de Jon Kabat-Zinn, le psychiatre de Toronto Zindel Segal, lui-même fondateur d’une méthode voisine, la Mindfulness-Based Cognitive Therapy (MBCT), ou “Thérapie cognitive fondée sur la méditation de pleine conscience”. Menée pendant plus de deux ans sur 160 personnes anxieuses et gravement dépressives, l’étude de Segal a prouvé que la méditation était un outil aussi efficace que les antidépresseurs dernier cri. Certes, l’effort est différent : dans un cas, la personne prend une pilule le matin et peut ensuite tout oublier ; dans l’autre, elle doit mobiliser son attention pendant toute la journée. Mais elle change aussi radicalement d’existence. Si j’en juge par ma propre expérience, cela en vaut mille fois la peine. C’est comme si, jusque-là, vous n’aviez pas vraiment vécu : toute votre existence prend une densité extraordinairement nouvelle.